SINADURAK

Txetx Etxeberri

Gizarte ekintzaile ekologista

La logique d'alliance et le concept de construction d'alternatives populaires

2021-05-17

Je vais tenter de vous résumer et donc à très grands traits, 25 années de l'histoire récente d'Iparralde qui ont vu se construire de manière empirique une dialectique transformatrice entre mouvement social et citoyen et élus et institutions locales.


Argazkia. Unsplash / Ivan Bandura

 

Cette dynamique particulière est dûe en bonne partie à la situation très spéciale d'Iparralde, la partie nord d'Euskal Herria : située au fin fond d'un Etat français très jacobin, ultra centralisé, de 67 millions d'habitants, elle n'en compte que 300 000, autant dire qu'elle ne pèse rien. Et faisant partie d'Euskal Herria, elle a bénéficié de l'impact du bouillonnement militant abertzale et social qui a maqrué sa partie Sud à partir des années 60, mais cela a également renforcé les phantasmes et les blocages côté Etat français. Accorder le moindre début d'existence institutionnelle au Pays Basque nord était vu comme faire le premier pas d'une route amenant vers la réunification avec ce Pays Basque sud aux volontés indépendantistes. Cela rendait plus difficile toute victoire, même minime, dans la bataille pour la reconnaissance et l'existence officielle d'Iparralde.

D'autre part, Iparralde était, avec 45 % de la population, structurellement minoritaire dans le département des Pyrénées-Atlantique, cadre institutionnel de base qui détermine les circonscriptions électorales, l'organisation des corps intermédiaires et de la vie politique, sociale et économique en général. Une action de désobéissance civile particulièrement pédagogique souligna cette dimension structurellement minoritaire et donc jamais décisionnaire, avec le vol en l'an 2000 des 21 sièges des conseillers départementaux du Pays Basque au Parlement du département, à Pau, qui en comptait 52 au total, et leur raptriement au Pays Basque pour exiger la création d'un département Pays Basque.

 

«Cette dynamique particulière est dûe en bonne partie à la situation très spéciale d'Iparralde, la partie nord d'Euskal Herria : située au fin fond d'un Etat français très jacobin, ultra centralisé, de 67 millions d'habitants, elle n'en compte que 300 000, autant dire qu'elle ne pèse rien.»

 

Et les abertzale, principale force transformatrice de la société d'Iparralde, étaient eux-mêmes minoritaires au sein de cette population structurellement minoritaire dans son institution de base et avec une situation démographique et géographique ne lui permettant pas de peser face à son Etat de tutelle.

Cette situation a d'après moi favorisé deux dispositions stratégiques au sein du mouvement abertzale d'Ipar Euskal Herria : la logique d'alliance, avec des sensibilités politiques très diverses, et le concept de construction d'alternatives populaires. Quand on a peu de moyens et d'espoirs d'arracher des solutions venant d'en haut, on est plus naturellement disposés à tenter de les construire à partir du bas. Cette logique s'est très vite concrétisée par une première vague de constructions populaires venant du bas, et souvent inspirées par le Pays Basque sud, les ikastola pour lutter contre la débasquisation, les coopératives économiques pour lutter contre le chômage et l'exode des jeunes, mais pas uniquement par Hegoalde, par exemple en ce qui concerne la création de labels, d'outils ou de filières locales au niveau agricole, dans l'objectif de maintenir une agriculture paysanne le plus autonome possible.

 

«Cette situation a d'après moi favorisé deux dispositions stratégiques au sein du mouvement abertzale d'Ipar Euskal Herria : la logique d'alliance, avec des sensibilités politiques très diverses, et le concept de construction d'alternatives populaires.»

 

Cette double logique a fourni les éléments d'un nouveau panorama politique dans les années 2000 en Iparralde :

 

  • C'est la création d'un mouvement social large et politiquement pluriel même s'il est majoritairement animé par les abertzale de gauche pour revendiquer auprès de Paris la création d'un département Pays Basque. Des élus,  militants et secteurs de la population de toutes tendances vont se retrouver derrière cette revendication d'une existence institutionnelle d'Iparralde. Cette mise en mouvement commune va également porter d'autres revendications proches, comme celle de la création d'une chambre d'agriculture Pays Basque, d'une université de plein exercice en Iparralde ou de la co-officialité de l'euskara, ce qui donnera les 4 portes d'entrée de la plateforme de mobilisation citoyenne Batera. Cette dynamique unitaire va également alimenter la revendication et la mobilisation pour le rapprochement des prisonniers politqiues basques.
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  • Ces gens, militants sociaux ou politiques, acteurs socio-proffesionnels, élus, de toutes tendances, éprouveront une grande frustration du fait des refus répétés de l'Etat français qui ne veut faire aucune concession sur le terrain de l'existence institutionnelle d'Iparralde. Ils vont se retrouver de plus en plus côté à côte dans des initiatives communes qui viennent pallier à ce manque d'existence institutionnelle.

 

Ce sont tout d'abord les structures de concertation, de prospective et de propositions rassemblant la société civile d'une part et des élus du territoire d'autre part que sont le Conseil de développement Pays Basque et le Conseil des élus. Puis des structures au potentiel bien plus subversif et en tout cas inacceptable pour l'Etat, qui s'inquiète de voir sa propre intransigeance alimenter de telles nouvelles menaces. Je pense notamment ici à la première institution nationale, et institution parallèle, alternative, construite à partir du bas, que fut l'Udalbiltza de la période Lizarra-Garazi, l'assemblée des mairies et élus municipaux des sept provinces basques. Sa mise en place en Iparralde, en parallèle de la mobilisaion populaire pour un département Pays Basque alors à son apogée, représentait une menace tout à fait nouvelle pour l'Etat jacobin, elle lui causait un dilemne insoluble. Il ne voulait pas lâcher la moindre existence institutionnelle légale pour Iparralde, mais ce faisant il poussait les secteurs non abertzale du front commun qui la demandait à se rapprocher d'une institution infiniment plus subversive, car nationale et alégale, Udalbiltza.

C'est un peu ce même schéma que permit de reproduire, de manière plus durable dans le temps, la création d'Euskal Herriko Laborantza Ganbara. Nous avions là, face au refus de l'Etat de concéder la création d'une chambre d'agriculture Pays Basque, la naissance d'une véritable institution parallèle d'Iparralde. Elle permettait en même temps de commencer à appliquer les solutions recherchées et de constituer une sorte de "mobilisation permanente", de "manifestation en dur" pour maintenir la pression maximale face à l'Etat sur le terrain de la revendication institutionnelle. Et les élus et secteurs de la population, abetrtzale ou non, de gauche comme de droite, qui s'étaient mobilisés pour un département Pays Basque et les autres revendications de Batera, qui partageaient la même frustration devant l'intransigeance de l'Etat, se retrouvèrent main dans la main pour défendre EHLG quand ce dernier tenta de l'interdire.

 

«C'est un peu ce même schéma que permit de reproduire, de manière plus durable dans le temps, la création d'Euskal Herriko Laborantza Ganbara.»

 

Les élus et secteurs de la population embarqués dans la bataille de la revendication, via la dynamique Batera, se retrouvèrent tous dans la bataille de la préfiguration, de la construction d'une institution parallèle. Et pas n'importe laquelle, une institution défendant une modèle d'agriculture et au delà un modèle de société socialement plus juste et socialement plus soutenable, ce qui n'était pas rien pour des élus et des secteurs qui venaient parfois plutôt d'une trajectoire de droite ou de centre droit. Ces élus et secteurs restèrent impliqués dans cette bataille là même au plus fort de l'affrontement avec le l'Etat et son représentant local le Préfet. Cela a surement contribué à changer l'appréhension d'une telle confrontation, et a facilité le refus de se soumettre aux injonctions du plus haut représentant local de l'Etat pour des élus d'Iparralde traditionnellement assez respectueux, voire soumis à l'autorité préfectorale.  De cette longue et intense confrontation, qui dura 5 ans et dont EHLG sortit victorieuse, naquirent des complicités et des passerelles entre gens que rien ne prédestinait politiquement à cela.

Un autre élément important ayant marqué cette même période a été la longue et âpre bataille contre le projet d'une nouvelle voie LGV devant balafrer la côte basque et mettre Iparralde à 3 heures de Paris, avec toutes les conséquences imaginables en terme d'aménagement du territoire et de pression foncière et immobilière. Cette double bataille, pour EHLG et contre la LGV menée dans la même période, a sans doute eu des conséquences non négligeable dans l'élaboration d'une culture politique particulière en Iparralde. Car certains secteurs et élus, notamment ceux du PS par exemple mais également certains centristes, soutenaient totalement EHLG et participaient aux campagnes de soutien à la chambre d'agriculture alternatives et plus généralement aux initiatives de la plateforme Batera pour une collectivité territoriale spécifique mais étaient favorables à la LGV et se retrouvaient donc sur ce terrain en opposition frontale d'avec leurs alliés de la batille institutionnelle. D'autres, proches de l'UMP, devaient assumer la ligne de leur gouvernement qui tentait d'interdire EHLG, mais étaient remontés vent debout contre la voie nouvelle LGV qui devaient passer par la commune dont ils étaient maires. Pour les uns et les autres, cela a permis un apprentissage des alliances assymétriques et d'une certaine culture du respect des différences. Il n'y avait pas de "tout ou rien" ou de "avec moi ou contre moi". On pouvait être alliés dans un domaine, autour d'un objectif stratégique, et dans le même temps adversaires sur un autre terrain, autour d'une bataille tout aussi importante.

A partir des années 2010, de nouvelles expériences alternatives surgissent en Iparralde, mélant transition écologique et justice sociale, et parfois reconnaissance officielle du Pays Basque.

 

  • Elles sont encouragées par l'exemple d'EHLG qui a su rassembler autour de ce projet original deux types de secteurs et de motivations : ceux réclamant une reconnaissance institutionnelle du Pays Basque nord, et ceux militant pour un modèle de société alternatif, à la fois juste et solidaire, et écologiquement respectueux des limites de la planète et du bien être des êtres humains et de leur environnement.
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  • Elles sont également marquées par l'impact très fort qu'a l'organisation du premier Alternatiba en 2013 à Bayonne : face à l'urgence et à l'immensité du défi climatique, on ne peut pas attendre un hypothétique accord international ambitieux, contraignant, efficace et juste sur la réduction des gaz à effet de serre ou même une politique volontariste de l'Etat français à ce niveau.

 

Les citoyens et les collectivités locales doivent relever eux-mêmes le défi, tout de suite et chez eux,  en mettant en marche les alternatives permettant concrètement de réduire au niveau de chacun et avec les moyens de chacun, ses propres émissions de gaz à effet de serre, tout en construisant un quotidien et une société plus humains, plus désirables, plus justes, plus soutenables, plus autonomes, plus résilients.

Divers projets de recycleries comme l'atelier vélo Txirrind'Ola (1500 membres), Recyclarte ou Konpon Txoko ; une monnaie locale basque, écologique et solidaire, qui avec ses plus de 4000 membres est devenue la plus importante d'Europe ; des coopératives de production d'énergie renouvelable ou de distribution d'energie renouvelable et locale comme I-Ener et Enargia ; des épiceries et supermarchés participatifs, fournissant des produits bio et locaux à des prix populaires, comme Otsokop (400 sociétaires) ou Larrunkoop, et bien d'autres alternatives en tout genre, vont se multiplier un peu partout sur ce petit territoire de 300 000 habitants.

 

«Dans la dernière partie de la décennie 2010 va enfin se construire, là encore non sans batailles et débats, la première institution regroupant tout le Pays Basque intérieur. Il s'agit de la Communauté d'agglomération Pays Basque, qui se dote de nombreuses compétences lui permettant d'intervenir dans à peu prés tous les domaines.»

 

Dans la dernière partie de la décennie 2010 va enfin se construire, là encore non sans batailles et débats, la première institution regroupant tout le Pays Basque intérieur. Il s'agit de la Communauté d'agglomération Pays Basque, qui se dote de nombreuses compétences lui permettant d'intervenir dans à peu prés tous les domaines. Ceux qui vont en assumer la présidence et la majorité de gestion sont notamment issus de la mouvanxcce Batera, du front basquiste ayant lutté pour la reconnaissance et existance institutionnelle d'Iparralde tout au long de ces 20 dernières années. Du coup, des alliances et soutiens naturels entre cette institution et les alternatives dont les porteurs principaux proviennent également de cette même bataille commune : participation financière à I-Ener, contrats avec Enargia, soutien politique et matériel à la monnaie locale Eusko etc.

En ce début des années 2020, la Communauté Pays Basque doit relever un double défi :

 

  • 1) mettre en place des politiques structurelles, à l'échelle de tout Iparralde, concernant l'habitat, les transports, l'agriculture et l'alimentation, l'énergie, la biodiversité et le climat etc. Bref impliquant des visions différentes et parfois opposés des directions à prendre, des mesures à adopter
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  • 2) poursuivre la structuration institutionnelle d'Iparralde, où la plateforme Batera n'entend pas se satisfaire du niveau actuel d'institutionalisation, et veut poursuivre la route vers une collectivité territoriale spécifique avec des jalons possibles à construire au niveau agricole et alimentaire, au niveau transfrontalier etc.
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Mais les anciens compagnons de route de la bataille institutionnelle ne se retrouvent plus dans la même situation. Avant, ils parlaient tous d'une même position, élus, acteurs socio-professionnels ou militant d'un Iparralde sans existence institutionnelle face à l'Etat français tout puissant. Aujourd'hui, certains gèrent l'institution existante et doivent adopter et conduire des politiques structurelles que combattent parfois les autres. Et pourtant la majorité dit vouloir poursuivre la route vers une collectivité territoriale spécifique, ou se retrouve côte à côte pour défendre l'euskara ou le processus de paix face à l'Etat français.

 

«Il faut donc actualiser et réinventer le logiciel qui a servi lors des années 2010 et 2020 à gérer la bataille pour l'existence institutionnelle d'Iparralde dans une culture de respect mutuel et d'alliances assymétriques.»

 

Il faut donc actualiser et réinventer le logiciel qui a servi lors des années 2010 et 2020 à gérer la bataille pour l'existence institutionnelle d'Iparralde dans une culture de respect mutuel et d'alliances assymétriques pour mener à bien une dialectique mélant confrontation et coopération, un dialogue permanent mais parfois difficile face aux nouveaux défis à relever.

De nouveaux outils se mettent en placce ou muent pour gérer au mieux cette dialectique complexe : le Conseil de développement du Pays Basque rassemblant la société civile pour produire des contributions fortes aux politiques structurelles puis un travail d'évaluation des politiques publiques de la Communauté Pays Basque. Le Pacte de métamorphose écologique de Bizi avec un comité Hitza Hitz des engagements pris avant les élections des maires et des élus communautaires, et la mise en place de sentinelles écologiques sur tout le territoire. La naissance d'une nouvelle structure, Alda, qui a pour mission de promouvoir l'organisation collective des classes et quartiers populaires dans l'objectif de leur redonner du pouvoir collectif pour se faire entendre et peser sur les politiques et mesures les concernant, dans le même esprit dialectique mélant mobilisation / confrontation et coopération / négociation.

 

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