ELKARRIZKETAK

Maite Sabalza

Ronnie Kasrils. Homenajeado en la Conferencia Política de Sortu

"Ronnie Kasrils, un révolutionnaire à temps plein"

2019-04-01

Il a commencé à travailler comme scénariste, mais après le massacre de Sharpeville en 1960, il s’engage dans un militantisme politique très actif. Il rejoint le Congrès national africain (ANC), puis le Parti communiste sud-africain (SACP).

FOKU

En 1962, le gouvernement d'Apartheid lui interdit de parler en public. L'année suivante, il participe à la naissance d'Umkhonto we Sizwe (MK), une branche armée de l'ANC. Il suit une formation militaire et politique en Union soviétique, à Odessa. Puis, pendant plusieurs années, il représente l'ANC et le Parti communiste sud-africain, en particulier à Londres, mais aussi dans beaucoup d'autres endroits comme Luanda, Maputo, au Swaziland, au Botswana, Lusaka et Hararen. Après la chute de l'Apartheid, il occupa de hautes fonctions gouvernementales.
En Euskal Herria, il est particulièrement apprécié pour sa participation et son travail dans le processus de désarmement d’ETA en tant que membre de la Commission internationale de vérification.


Dans votre livre « Armé et dangereux », vous écrivez que lorsque vous avez commencé à lutter contre l'Apartheid, vous pensiez que la lutte ne durerait pas longtemps, car à ce moment-là vous n’imaginiez pas que le soutien de la communauté internationale à cette injustice durerait aussi longtemps. Cependant, les choses se sont passées différemment, qu'en pensez-vous?


“La leçon est la suivante: n’abandonnez jamais. Nous devons être prêts à trouver différentes formes de lutte comme nous l’avons fait en 1961.”


Quand j'ai rejoint le combat en Afrique du Sud dans les années 1960, j'avais alors 20 ans. Nous nous disions qu'il nous faudrait cinq ans pour renverser la situation. Nous avions tellement confiance dans les gens que nous ne nous avouerions jamais vaincus. Nous luttions pour une cause juste et ceux d’en face, eux, défendaient tout ce qui était raciste, fasciste et anti-humain.

Sur cette base, nous sentions que nous pouvions les vaincre mais nous ne nous rendions pas compte à quel point le système capitaliste était tenace puisqu'il s'agissait d'un système capitaliste colonial. Nous pensions également que grâce aux manifestations dans les rues de New York, de Washington, de Paris ou Londres, nous pourrions faire bouger les gouvernements occidentaux. Nous avions obtenu que la solidarité internationale contre l'Apartheid soit très importante. Nous étions très sûrs de nous-mêmes: nous étions en train d’attaquer ce système raciste. Bien sûr, la répression fut très sévère et beaucoup de personnes en furent les victimes. Beaucoup furent emprisonnés, forcés à s’exiler ou tués. Les gens furent assassinés lors d’interrogatoires.

Ceux d’entre nous qui survécurent en exil poursuivirent la lutte par le biais de la lutte armée, en formant notre peuple. Nous fûmes rejoints par des jeunes.

Finalement, ils sont tombés 30 ans après la prévision que nous avions faite.

La leçon clé est de ne jamais abandonner. Les fascistes et les racistes essaient de nous faire renoncer, de nous intimider, de nous forcer à vivre à genoux.


Que retenez-vous de l'internationalisme et la solidarité internationale?


“Soyez toujours prêts à les confondre, qu’ils soient ridiculisés, ce qui leur fera perdre le soutien du peuple, car en politique, la bataille contre la réaction consiste à isoler le noyau central de la réaction et à maximiser l’alliance entre les gens.”


La Révolution française avait ce slogan: liberté, égalité, fraternité. Au fil des ans, nous avons compris que la fraternité était en réalité une fraternité internationale, le soutien de la communauté internationale, ce qui est extrêmement important. Pour nous, c'était une priorité. L'union de tous les peuples pour rejoindre et créer des liens.

Comme ce fut le cas de la lutte sud-africaine, le mouvement international à l’étranger, hors de nos frontières, est en réalité plus actif qu'à l'intérieur, car la solidarité internationale est source d’inspiration et donne de la force et de l’espoir aux personnes qui subissent la répression, le contrôle et l’oppression. De la même manière, lorsqu’ à l'intérieur les actions et les mobilisations sont intenses, elles servent d'inspiration à l'extérieur.


La lutte vous a obligé à prendre des décisions difficiles dans votre vie. Vous avez connu l’exil, la clandestinité et, plus tard, vous avez également occupé des postes au sein du gouvernement. Qu'est-ce qui vous a amené à prendre toutes ces décisions?


FOKU

Pendant une courte période, j'ai été impliqué dans l'organisation de masse et la protestation politique en Afrique du Sud, puis j'ai été envoyé en Union soviétique où j'ai suivi une formation. Ce fut une incroyable expérience de solidarité. Ce ne fut pas la seule : je suis allé dans des pays comme Cuba, le Ghana, l'Allemagne de l'Est, le Mozambique et la Tanzanie.

Ceux d’entre nous qui ont survécu à toutes ces expériences ont déclaré: "Reprenons l’épée du combattant tombé au combat et poursuivons sur la même voie". Encore une fois, la leçon est la suivante: n'abandonnez jamais. Nous devons être prêts à trouver différentes formes de lutte comme nous l'avons fait en 1961. À la fin des années 90, De Klerk a libéré Mandela et d'autres prisonniers, a levé l'interdiction qui pesait sur l'ANC et le Parti communiste. Je fus membre de ces deux organisations mais aussi d’autres plus petites. Nous nous sommes rapidement adaptés à la fin de la lutte armée, nous y avons mis fin et sommes entrés dans une phase de dissolution de notre branche armée une fois atteint l’objectif "une personne, une voix", c’est à dire la pleine démocratie.


Vous et votre femme avez été très impliqués dans la lutte contre l'Apartheid, nous pouvons donc dire que vous aussi vous y avez beaucoup cru en tant que famille en termes personnels?


“J’ai pu mesurer à quel point la réaction du gouverment de Madrid, des élites et des médias de ce pays était complètement rétrogade et loin du type de réaction qu’eut De Klerk à la fin de l’Apartheid.”


Eh bien, je viens de la partie blanche privilégiée. Aujourd'hui, il y a encore beaucoup de gens en Afrique du Sud, en particulier des jeunes noirs, qui veulent savoir pourquoi des hommes et des femmes blancs étaient prêts à renoncer à leurs privilèges et à leur liberté.

Par exemple, j’ai perdu un travail très prometteur dans ma jeunesse, je faisais des films, c’était le début de ma carrière, mais je ne pleure pas pour cela et je n’ai jamais regretté de m’être engagé sur la voie de la révolution.


L'Afrique du Sud est également un pays où la résolution des conflits s'est développée de différentes manières et cela a été un exemple pour de nombreux autres pays du monde, y compris le Pays basque. Nous avons reçu ici l'aide de Brian Currin, Roelf Meyer, Mac Maharaj, Cyril Ramaphosa et la vôtre. Partant de votre expérience dans la résolution de conflits, quelles sont, selon vous, les principales leçons que vous avez essayé de nous transmettre ici au Pays basque?


Il faut beaucoup de courage à une organisation pour réduire les armes au silence. Je vois des possibilités de changement à travers le dialogue et les négociations. Il faut continuellement aller vers les gens, expliquer la démarche et tourner l'adversaire en ridicule à l'échelle internationale.

Nous devons être clairs: il faut être deux pour danser un tango, car on ne peut pas danser un tango en solitaire. Il faut collaborer ensemble dans l’intérêt des deux côtés. La fin des politiques de discrimination doit être extrêmement claire dès le départ et constituer une condition préalable, à moins que l’autre partie ne veuille pas s’impliquer, comme ce pourrait être le cas au Pays Basque. Dans ce cas, soyez toujours prêts à les confondre, qu’ils soient ridiculisés, ce qui leur fera perdre le soutien du peuple, car en politique, la bataille contre la réaction consiste à isoler le noyau central de la réaction et à maximiser l'alliance entre les gens.

Les détails des phases de négociation changent d'un pays à l'autre. Nous avons vu qu'en Palestine, la question d'Oslo était une sorte de piège. En Irlande, ils firent de grands progrès avec le Sinn Féin, lorsqu’ils adoptèrent comme méthode principale la non-confrontation, ce qui ouvrit assez d’espace pour négocier car, en Grande-Bretagne, le pouvoir n'était pas disposé à rester là avec ses troupes, ni à tirer et tuer des gens. L'Afrique du Sud fut l'un des endroits où cette phase a évolué très rapidement, entre 1989 et 1990.

C’est dans ce contexte qu’arriva la déclaration de De Klerk au nom du gouvernement de l'Apartheid, la libération des prisonniers, la fin de l'illégalisation des organisations politiques noires... bien que cela ne signifiât pas qu'il n'y ait plus de meurtres ou de morts. Ce fut difficile, mais nous reconnaissions que, sous le régime de De Klerk, tout le monde n'était pas impliqué dans les tentatives d’affaiblissement de la négociation ; ces tentatives venaient plus de la part des secteurs les plus à droite, ce pourquoi nous devions maintenir la relation entre nous et suivre la cadence du tango. C’est ainsi qu’en 1994, nous eûmes les premières élections démocratiques qui allaient changer l'Afrique du Sud.

Cependant vous avez ici vos propres problèmes avec des hauts et des bas. Comme vous le savez, je suis venu à Bilbao avec le groupe consultatif de dialogue qui avait pour mission d’évaluer si ETA respectait ses engagements et s’il donnait des garanties suffisantes pour un scénario de non-violence. Pendant plus de quatre ans nous avons constamment fait savoir que c’était le cas. Le gouvernement du parti socialiste, si timide, ne semble pas disposé à prendre des mesures telles que le rapprochement des combattants basques pour la liberté qui sont emprisonnés. Je sais que le Premier ministre socialiste français s’y était engagé il y a plus d'un an, mais ici il ne s'est rien passé. Avec ce gouvernement socialiste au pouvoir, il est très important de continuer à obtenir le soutien de la population, des syndicats, des travailleurs, des intellectuels et des étudiants. Ici, au Pays basque, quand je suis arrivé, je me suis rendu compte que les partis politiques, la société civile, les syndicats, les entreprises, l’Église, les institutions, les forces sociales, avaient des positions différentes, mais toujours est-il qu’il a été possible d’enclencher un processus dans lequel les meilleures personnes se sont réunies et ont pu avoir des convergences et dans lequel des alliances ont vu le jour pour atteindre des stades plus avancés. Si la lutte armée avait été maintenue au Pays basque, les positions ne se seraient probablement pas rapprochées autant. Malgré tout, à ce jour, il n’y a pas de négociation avec Madrid et il y a plus de 260 prisonniers toujours emprisonnés en Espagne et en France, mais il y a eu des progrès qui ont accru l’espoir de la population, par conséquent la question de la lutte peut être posée à court ou à long terme. D’ailleurs, en 1990, notre lutte connut une forte accélération, due au fait qu’à ce stade, une grande partie des pays clés d’occident, notamment la Grande-Bretagne et les États-Unis, voyaient des perspectives dans l’insurrection sud-africaine et que la lutte de masse ainsi que notre action armée étaient si intenses qu’ils ont commencé à comprendre qu'ils ne pourraient pas protéger l'Apartheid. Ils ont alors estimé que la situation devait changer afin de s'aligner sur l'économie de marché occidentale. C'était un grand changement en termes économiques. De Klerk et l'ancien Premier ministre, Botha, conclurent un accord pour aboutir à ce changement. Une fois que cela commence, il est très difficile de l'arrêter, même si des difficultés surgissent. Ainsi, je voudrais finalement rappeler la raison de tout cela: c’est parce que notre peuple était très uni qu’il a pu exercer une forte pression en faveur du changement.


Vous avez été membre de la Commission internationale de vérification, vous avez rencontré les membres d'ETA pour démanteler les arsenaux et les armes, puis vous avez été appelé à témoigner par un tribunal de Madrid. Comment était cette expérience?


FOKU

“Ce gouvernement de Madrid où Rajoy est resté sourd et aveugle, incapable de parler avec quelque groupe que ce soit, ici au Pays Basque, ni avec ETA et encore moins avec des groupes internationaux comme nous. C’est une attitude propre de rétrogrades et ignorants.”


Eh bien, j’ai un fils syndicaliste qui vit à Londres où il est né, et il se passionne pour le Pays Basque et ses habitants. Il était déjà venu ici et quand il est venu me voir en Afrique du Sud, il m’a demandé: -« Sais-tu quelque chose sur les Basques et leur lutte? » J'ai répondu que nous avions entendu parler d'ETA quelquefois, mais il m'a dit qu'il y avait beaucoup plus que cela et qu'il fallait que je vienne. Cela m'a donc aidé à me préparer mentalement. Ensuite, Urko [Aiartza] est venu en Afrique du Sud et a pu m'expliquer les caractéristiques spécifiques du Pays basque et ses revendications d'autonomie, ses droits culturels et linguistiques, la répression du temps de Franco, etc. Donc j'étais assez bien informé. Ensuite, je suis allé voir Urko chez lui à Donostia. Le Pays basque est un pays merveilleux et les gens que nous avons rencontrés nous ont pris très au sérieux. Nous leur avons clairement indiqué que nous voulions que le processus aille de l'avant et je pense que nous les avons aidés. La dernière partie eut lieu lorsque je suis allé rencontrer les membres d’ETA avec le président de notre groupe. Nous n'avons jamais vu leurs visages, nous ne connaissions pas leurs noms, nous ne savions pas où nous étions et nous avons supervisé ce qui à ce stade, n’était qu’un geste symbolique. Mais c’est ce geste symbolique qui, comme nous le savons tous, a conduit à de plus grandes avancées. Le président Ram Manikkalingam et moi-même avons dû comparaître devant le procureur de l’Audiencia Nacional de Madrid. Ils ont pris notre déclaration un par un, ils voulaient savoir qui étaient les personnes cagoulées apparues dans la vidéo et où ils se trouvaient, nous n’avons dit que ce que nous pouvions dire. Ce fut tout. Vous ne pouvez pas connaître l'identité d'une personne portant une cagoule. Nous avons raconté ce que nous avions vécu: nous sommes allés à Toulouse où deux personnes cagoulées nous ont montré leurs armes et où une troisième a enregistré la scène. Nous avons dû donner des explications à Madrid et aussi à Paris, mais ces derniers se sont contentés de nous interroger par Skype. J'ai pu mesurer à quel point la réaction du gouvernement de Madrid, des élites et des médias de ce pays était complètement rétrograde et loin du type de réaction qu’eut De Klerk à la fin de l'Apartheid. Cependant, nous avions ici une organisation comme ETA prête à céder sur ses positions en signe de bonne foi pour parvenir à un scénario de paix et d'harmonie, et ce gouvernement de Madrid où Rajoy est resté sourd et aveugle, incapable de parler avec quelque groupe que ce soit, ici au Pays basque, ni avec ETA et encore moins avec des groupes internationaux comme nous. C'est une attitude propre de rétrogrades et ignorants. Le gouvernement socialiste se montre terriblement faible. Ils le paieront en termes de votes. Les habitants de la péninsule ibérique, on pourrait dire l’Espagne, le Pays basque ou la Catalogne réclament un mouvement définitif en faveur de la paix. La balle, comme on dit, se trouve donc dans le camp adverse. Le nouveau gouvernement ne saisit pas l’occasion qui lui est donnée de participer à ce jeu, alors à quoi vous attendez-vous? Ils méprisent les habitants du Pays basque qui font preuve d'un haut niveau culturel, de civilité et de respect. Cela ne peut qu’apporter de plus en plus de problèmes.


Récemment, vous avez été reconnu par le Sinn Féin en Irlande et, aujourd’hui, la Gauche d’Abertzale fera de même pour votre soutien au mouvement de libération national basque. Que ressentez-vous ?


“Nous comprenons pourquoi des gens prennent parfois les armes à la main pour poursuivre leur combat, mais par la suite, lorsque les gens leur font part qu’il est convenable d’abandonner les armes, changent de méthode de lutte. Cela a été fait par votre mouvement, et nous lui tirons le chapeau.”


C'est un grand honneur de recevoir ce prix de votre mouvement pour le peu que j'ai fait. Je me sens très honoré et très fier. J'ai déjà envoyé un message à mon fils de Londres, qui est très fier des Basques pour lui dire que j'avais entendu dire qu'il allait être appelé pour recevoir un prix. J’en ai également fait part à mon autre fils à Johannesburg.

Comme je l’ai déjà dit dans ma déclaration précédente, nous avons eu affaire à des personnes qui ont vécu une lutte rude, des personnes ayant subi une forte répression à l’époque de Franco et ultérieurement, avec de nombreux prisonniers politiques. Nous comprenons pourquoi des gens prennent parfois les armes à la main pour poursuivre leur combat, mais par la suite, lorsque les gens leur font part qu’il est convenable d’abandonner les armes, changent de méthode de lutte. Cela a été fait par votre mouvement, et nous lui tirons le chapeau, tout en lui souhaitant le meilleur pour avancer vers une justice réelle, la liberté et l’égalité pour toutes les personnes, et la solidarité internationale. Alors oui, je suis vraiment sans voix maintenant pour décrire ce que je ressens.